Entraide et désintéressement : hypocrisie d’un système

Avec l’avènement d’internet, de la mise à disposition gratuite et immédiate des informations, de la possibilité d’accéder à des compétences via les réseaux sociaux, j’ai assisté à l’essor de la cocréation dématérialisée, mais aussi à celui du tout m’est dû et si tu espères un quelconque retour, t’as qu’à pas aider les gens.

Contexte et analyse hors des conventions sociales.

Désintéressement (n. m.)
Comportement de quelqu’un qui agit sans considérer ses propres intérêts.

Souvenons-nous que notre perception du socialement correct descend de celui du bon chrétien. Celui-ci donne à l’Eglise, fait la charité, agit pour le bien des autres avant lui même, dans un total désintérêt, avec humilité.
D’ailleurs, il est tellement humble que ça le rend meilleur que plein d’autres gens (1).
D’ailleurs, s’il est suffisamment bon il ira au Paradis au lieu d’aller en Enfer… mais ceci n’a rien à voir avec l’aspect intéressé / désintéressé des actions de cette personne (2).

Bon, je vous dis ça… j’ai moins de légitimité à justifier les points 1 et 2 qu’un chef religieux catholique, depuis un palais rempli d’oeuvres d’art, dans un pays qui vit principalement de la charité et d’investissements en Bourse.

Contexte

Il existe des centaines de groupes d’entraide pour nouveaux entrepreneurs sur Facebook. Certains sont chapeautés par des entreprises dont le but est de vendre leur service d’accompagnement. Parmi ceux-ci, certains sont « Public » et d’autres « Réservé aux clients ».

D’autres groupes ont une visée spécifique comme « Relâcher la pression », « Balancer les personnes non-déclarées » ou encore « Créer une force d’intervention pour défendres les membres du groupe ».
Précision : souvent, les personnes rejoignent plusieurs groupes et posent exactement la même question dans tous les groupes où les mêmes personnes vont donc aussi copier-coller leur réponse, avec plus ou moins d’énervement. Je parle d’expérience.

Accompagner les gens dans leur développement personnel et professionnel est mon gagne-pain. Aider les gens en apportant des réponses concrètes à leur problématique est ma passion.
J’ai donc rejoint une dizaine de groupes, où je vivais ma passion, dans le but premier de me faire plaisir, et ensuite seulement de faciliter la vie des gens. Puis j’ai compris que la majorité de ces personnes utilisait ces groupes comme un Google couplé à un escl… assistant personnel, en comptant le nombre de fois où une question revenait alors qu’il existe une fonction « Rechercher dans le groupe ».

J’ai compris qu’en donnant sans rien attendre en retour, les gens n’avaient pas idée que je pouvais apprécier un retour, voire que j’avais besoin d’aide aussi, mais pas via une question posée dans le groupe.

ça ne se fait pas de demander

J’ai donc mis les pieds dans le plat.
Dans un groupe où je pensais être entourée de bienveillance, j’ai osé demander, ingénue que je suis : comment pourrais-je monétiser ce que je vous offre sur ce groupe sans créer un malaise ?

Malaise.
Tollé quasi-général.

Il y a une croyance que l’aide est toujours gratuite, surtout si c’est juste du conseil. Que la gratitude est obligatoire, ou au minimum polie. Que la forme que prend cette gratitude dépend du donneur et que le receveur se doit de l’accepter avec gratitude, même si en fait…

Hypocrisie (n. f.)
Action, parole destinée à tromper sur les sentiments, les intentions véritables de quelqu’un.

Relation transactionnelle, mon argent…

J’ai demandé à l’une des personnes quelle était la différence entre « envoyer un de mes produits en remerciement » et « envoyer la somme correspondante directement » (sachant que tout le monde n’a pas besoin de couches lavables) : ça ne se fait pas de donner de l’argent en remerciement. Pourquoi ?

L’aide c’est beau, propre, saint… et l’argent c’est sale, mauvais (paye ton socialement correct historique de chrétienté vs. juiverie). D’ailleurs, le rapport à l’argent est l’une des clés de la réussite que j’aborde en coaching, mais passons.

Toute relation est toujours transactionnelle, directement ou indirectement. Toute action est intéressée.
Vous avez toujours quelque chose gagner dans ce que vous faites : il est impossible de faire quelque chose de strictement inutile. Le feriez-vous si vous n’aviez rien à en tirer (même pas un sentiment positif) et que personne ne soit au courant, jamais ?
Ne vous voilez pas la face.

Vous vous souvenez du film où ce petit garçon aide 3 personnes avec une seule condition : qu’elle aide 3 autres personnes à son tour ?
Ceci est le retour indirect. Mais ça passe parce que c’est un gamin, et parce que dans une grande partie des cas c’était une question de vie ou de mort. Et parce que c’est un film.

Libre-arbitre et bon-vouloir

J’ai sans le vouloir (et j’ai précisé que je ne voulais pas) relancé le débat, en parlant de Ko-fi.
Ko-fi est un site qui permet de « payer un café » à la personne qui vous a aidé, via un article de blog par exemple. Pas de notion d’abonnement, juste un « ça m’a aidé et je veux faire un geste et je sais que tu apprécieras même si c’est pas grand chose ». On a subjectivement retiré l’aspect « argent » de la transaction, et ça passe crème.

Comment le débat a été relancé ?
Une personne a commenté qu’un groupe d’entraide n’était pas le cadre pour ça.

J’ai demandé quelle était, selon cette personne, la différence entre :
– Je te donne une solution en commentant dans un groupe d’entraide, tu l’appliques ou pas, tu as l’option de me payer un café ;
– Je te donne une solution dans mon blog que tu trouves via Google, tu l’appliques ou pas, tu as l’option de me payer un café ;
– Je te donne une solution dans un groupe d’entraide en mettant un lien vers mon blog (que tu aurais pu trouver sur Google), tu l’appliques ou pas, tu as l’option de me payer un café.

En l’absence de réponse, j’ai proposé cette analyse purement objective :
– La question est posée au même endroit dans les 3 cas ;
– La façon dont la personne trouve l’information n’est pas la même car dans 1 cas elle cherche par elle-même sur Google et dans les 2 autres elle la reçoit via un commentaire ;
– La source de l’information (la personne qui répond) est la même dans les 3 cas ;
– L’aspect « complet » de l’information est peut-être moindre dans un « simple commentaire » que dans l’article de blog ;
– Une réponse avec un simple lien est plus courte que dans les autres cas ;
– Dans les 3 cas, le répondant fait connaître l’option de faire une contribution financière en échange de l’information donnée ;
– Dans les 3 cas, cette contribution financière est absolument facultative et donc au bon-vouloir de la personne ayant posé la question à l’origine ;
– Dans les 3 cas, le répondant n’a pas d’attente de retour suite à sa participation (sauf de la gratitude parce que c’est poli – sauf s’il est autiste et se fout des conventions sociales) ;
– Dans les 3 cas, la personne ayant posé la question peut choisir (bon-vouloir) de ne pas exprimer de gratitude, voire d’envoyer chier l’intégralité des répondants.

La grosse différence subjective est la croyance que l’entraide est censée être absolument désintéressée.

Si un expert vous donne le meilleur conseil du monde « dans un cadre défini comme groupe d’entraide », vous ne lui devez rien. Si cette personne vous demande quoi que ce soit en retour, c’est mal de sa part.
Donc, vous avez le droit de choisir de recommander cette personne, d’écrire dans son livre d’or, mais elle n’aurait pas le droit de vous demander de le faire : c’est malpoli.
Ou encore vous avez le droit de faire un don à une association de votre choix (parce que l’envie vous prend) mais cette personne n’a pas le droit de vous soumettre une association en particulier, car si c’est le cas vous vous sentez obligé de donner à cette association-là et vous n’avez plus le droit d’en choisir un autre (ce serait rejeter la personne et cracher sur l’aide qu’elle vous a apportée), donc vous laissez tomber et ne faites aucun don.

D’ailleurs, si vous dites à cette personne qu’elle a donné le meilleur conseil du monde, c’est bien ; mais si cette personne ose dire qu’elle a donné le meilleur conseil du monde, elle a visiblement un souci d’égo et les chevilles qui enflent…

Prenez un moment pour réfléchir sur le concept d’égo et de valeur dans notre société.

avoir des besoins : politiquement incorrect ?

J’en arrive à la conclusion que le coeur du problème est notre rapport au besoin et aussi notre peur du rejet.

Un bébé qui a besoin de manger va le demander, sans culpabilité. Un enfant va peut-être hésiter à cause de son expérience du rejet, voire de la honte. Un adulte va se débrouiller seul, avec une probable peur de se sentir coupable s’il demandait, et peut-être finir dans l’impuissance, la honte ou la manipulation.

Notre croyance que tout le monde nous manipule, que si l’intérêt est affiché c’est qu’il y a un autre intérêt caché derrière, nous pourrit nos relations. Si bien que la majorité des humains vit dans une forme de furstration constante et la dissociation passive.

Je rêve d’un monde où l’on puisse avoir un manuel : quelle action fera que cette personne spécifiquement se sentira aimée au niveau que je souhaite lui démontrer, quel offrande lui apportera un plaisir authentique, comment répondre à ses besoins et quels sont ses réels besoins.

Savez-vous seulement répondre à ces questions pour vous-même ?